Vas-y Lapébie !

Vas-y Lapébie ! - Nicolas Philibert
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1988 / 27' / France • DCP (d'après 16 mm) • Son mono

En cette année 1988, Roger Lapébie, 77 ans, est le plus ancien vainqueur du Tour de France cycliste encore en vie. Depuis sa victoire légendaire de 1937, un demi-siècle a passé. Pourtant, Roger parcourt encore chaque semaine plus de 300 kilomètres à vélo sur les routes des Landes et du Bordelais…

Le portrait d’un grand bonhomme du cyclisme, qui affirme : « J’aime mon vélo plus que moi-même ».

1988 / 27' / France • DCP (d'après 16 mm) • Son mono

Image Olivier Guéneau, Frédéric Labourasse • Son Freddy Loth, Julien Cloquet • Régie Pierre Hémon • Montage Nelly Quettier • Producteur délégué Jean-Pierre Bailly • Production MC4, Pathé, Canal Plus • Avec la participation du Centre National de la Cinématographie.

Première diffusion télé : Canal Plus, 22 juin 1988

J’ai fait la connaissance de Roger Lapébie en 1987 au cours de la soirée d’ouverture d’un Festival de  vidéo sportive qui se tenait à Arcachon. Placés à la même table, nous avons commencé à bavarder, et deux heures plus tard, je lui ai proposé de le filmer. Dans le texte ci-dessous, brève note d’intention du projet, j’évoque mon souhait de le suivre sur Paris-Nice, dont il était encore le directeur technique. Une place de choix pour filmer une grande épreuve « de l’intérieur ». Hélas, le modeste budget réuni pour ce projet ne me le permettra pas. Je devrai me contenter d’en filmer le prologue, dans les rues du 13e arrondissement de Paris (NP)

 

A 77 ans, Roger Lapébie est le plus ancien vainqueur du Tour de France encore vivant. Sa victoire de 1937 – il y a tout juste un demi-siècle, nous renvoie à cette illustre période d’Avant-Guerre, celle des Magne, Leducq, Bartali, Vietto, Pelissier… figures devenues légendaires de la grande Epopée du Tour. Chevauchées qui semblent aujourd’hui d’un autre âge, si l’on songe que les grands cols des Alpes comme ceux des Pyrénées se franchissaient encore sur des chemins de terre !

En réalité, en ce mois de juin 1937, personne n‘aurait misé un kopeck sur le nom de Lapébie, lui qui, cette année-là, venait pourtant d’empocher Paris-Nice et le Critérium National. Souffrant d’une hernie lombaire, il avait longuement hésité à prendre le départ de l’épreuve. Plusieurs spécialistes avaient tenté de l’en dissuader, estimant qu’une intervention chirurgicale s’imposait. La presse elle-même avait pris position, posant la question suivante : « Est-il raisonnable d’offrir une place dans l’Equipe de France à un coureur qui ne passera peut-être pas la montagne ? »

4500 kilomètres plus tard, après mille péripéties, la chute tragique de Bartali, l’abandon collectif des belges, sans oublier la tentative de sabotage qu’il découvrit sur son vélo au matin de la 17e étape (« quelqu’un » avait scié son guidon), il triomphait pourtant sur la piste du Parc des Princes et, un boyau sur l’épaule, entrait à son tour dans la légende.

Un an auparavant, aux Jeux de Berlin, Guy Lapébie, son frère cadet, était devenu champion olympique de poursuite.

Cinquante ans ont passé. Le « dernier des Mohicans » vit aujourd’hui à Talence, dans la banlieue bordelaise. Son hygiène de vie ressemble à celle d’un coureur en activité : régime alimentaire strict, entraînement quasi quotidien. Chaque semaine, il parcourt plus de 300 kilomètres à vélo et dispute, les dimanches, des compétitions avec les copains. Fidèle à sa passion de toujours, il participe encore chaque année au Tour de France en qualité de… chauffeur ! Une présence discrète qui le maintient étroitement en contact avec le milieu cycliste professionnel.

« Vas-y Lapébie ! », film de 26 minutes destiné à la télévision n’a pas la prétention de retracer de façon  exhaustive la carrière de cet ancien champion. Approche cinématographique plutôt que journalistique, ce film en proposera un portrait au présent. Et si on y voit quelques images d’archives, celles-ci seront utilisées comme des images- souvenir, réminiscences mentales, fragmentaires, de notre héros, plutôt que pour leurs dimension encyclopédique.

Mais venons-en à l’essentiel : en mars prochain, Roger Lapébie prendra le départ de Paris-Nice, première course par étapes de la saison, en qualité de  Directeur technique ; un poste clef qui place celui qui l’occupe au cœur du dispositif logistique de la course, l’obligeant à régler mille détails par jour et à faire jusqu’à deux fois plus de kilomètres – en voiture ! – que le parcours n’en comporte.

Cette épreuve, qui rassemble chaque année les plus grands noms du cyclisme international, attirant le long des routes des centaines de milliers de spectateurs, sera l’un des fils conducteurs du film. Ainsi, pendant huit jours nous filmerons la course et ses coulisses en suivant Lapébie comme son ombre ; portrait en perpétuel mouvement, comme pour souligner l’extrême vivacité de son héros.

Mais nous irons aussi à la rencontre d’un Lapébie plus secret, chez lui, à Talence, sur les lieux de sa solitude, où encore au sein du clan familial ; occasion de le filmer avec son « jeune » frère (Guy a 73 ans) et avec les copains de toujours. Ensemble, à vélo, ils nous feront découvrir leurs sentiers favoris.

Vas-y Lapébie ! - Nicolas Philibert
Vas-y Lapébie ! - Nicolas Philibert
Vas-y Lapébie ! - Nicolas Philibert
Vas-y Lapébie ! - Nicolas Philibert
Vas-y Lapébie ! - Nicolas Philibert
Roger Lapébie
Repères biographiques

Naissance à Bayonne le 16 janvier 1911.

En 1917, son père, employé aux chemins de fer, est appelé à Bordeaux.
Dès 1925 Roger pratique la course à pied sous les couleurs de l’Union Athlétique Bordelaise. Il se mesure plusieurs fois à un certain… Jules Ladoumègue.

A 14 ans il entre aux Etablissements Courbu comme apprenti-miroitier. Un camarade d’atelier l’incite à faire du vélo. Souvent, après le travail, les deux amis partent s’entraîner. Roger se découvre une vocation. Il emprunte un vélo de piste et s’engage dans la « Médaille bordelaise », dont il gagne aisément les épreuves de qualification. Il s’apprête à disputer la finale quand les organisateurs découvrent que, pour pouvoir courir, Roger a triché sur son âge, se faisant passer pour un garçon de 16 ans. Il est disqualifié.

Deux ans après ses débuts, grâce aux nombreuses victoires remportées, dimanche après dimanche, sur les vélodromes de Bordeaux, Angoulème, Tarbes, La Rochelle… il peut enfin acheter son premier vélo. Il abandonne alors progressivement la piste et devient le meilleur routier amateur du Sud-Ouest.

En 1929,  il décide de tenter sa chance à Paris. Il intègre le Vélo-Club de Levallois, le plus prestigieux de l’époque, et rejoint bientôt les meilleurs cyclistes français au camp d’entraînement de Jouy-en-Josas.

Dès la saison suivante, en 1930, Roger Lapébie remporte sa première grande épreuve, le Championnat de Paris, devant Le Grevès et Horner. Les organisateurs sont tellement stupéfaits qu’ils prétendent s’être trompés sur le décompte des tours et imposent aux coureurs un tour supplémentaire (10 km). Mais ce qui était arrivé au tour précédent se reproduit : Roger gagne à nouveau… devant le même Le Grevès. Cette fois c’est indiscutable !

1932 : Roger lapébie passe professionnel et participe à son premier Tour de France aux  côtés d’André Leducq, qui teminera premier à Paris. Pour sa part il gagne une étape (Gap-Grenoble) et finit 23eme au classement général.

1933 : Roger remporte le Championnat de France devant Antonin Magne ainsi que plusieurs classiques parmi lesquelles Paris-Saint-Etienne, Paris-Angers, le Circuit du Morbihan et le Grand-Prix de l’Echo d’Alger, se hissant ainsi parmi les meilleurs français.

1934 : c’est la grande année de l’Equipe nationale dans le Tour de France : 19 victoires d’étapes sur 23 ! Lapébie réalise le meilleur score en s’adjugeant 5 d’entre elles et en terminant 6 fois second. Malagré un excellent travail d’équipier en faveur d’Antonin Magne qui l’emportera à Paris, il termine troisième de l’épreuve et monte sur le podium.

Il remporte aussi un second Paris-Saint-Etienne, Paris-Vichy, le Critérium National et deux étapes de Paris-Nice.

Premier à l’arrivée de Paris-Roubaix, il sera disqualifié pour avoir terminé l’épreuve sur un vélo d’emprunt, suite à une crevaison.

La saison suivante Roger Lapébie gagne pour la troisième fois Paris-Saint-Etienne mais surtout, il triomphe dans Les Six Jours de paris avec son équipier Maurice Archambaud devant les vedettes italiennes Guerra et Olmo, réalisant avec lui un score de 3341 kilomètres !

1936 : excellent année pour Guy Lapébie, frère cadet de Roger, qui revient des Jeux Olympiques de Berlin avec deux médailles, dont une en or, dans les épreuves de poursuite. Mais saison en demi-teinte pour Roger qui gagne tout de même quelques classiques dont le Grand-Prix deVichy et le Circuit International de Parme.

1937 : Roger commence par empocher Paris-Nice et le Critérium National. Puis vient le Tour de France et cette petite révolution technique : le dérailleur, autorisé pour la première fois dans l’épreuve.

Roger souffre d’une hernie lombaire et hésite longuement à prendre le départ. Finalement il décide de courir le risque. L’Equipe de France est vite décimée avec les abandons de Spiecher, Archambaud, Le Grevès, Thietard.. Lapébie prend du retard en début de course. A Grenoble il a 24 minutes de retard sur le leader, Gino Bartali.

Il se surpasse dans l’étape Briançon-Digne, franchissant les cols de l’Izoard, de Vars et d’Allos dans le groupe de tête avant de rallier Digne avec trois minutes d’avance.

Bartali, accidenté, abandonne. Le belge Sylvère Maes, déjà vainqueur l’année précédente, prend le maillot jaune.

A l’entrée des Pyrénées Roger occupe la troisième place du général. La tension monte dans la caravane… Quelques minutes avant le départ de Luchon, tandis que Roger procède à une séance d’échauffement son guidon se brise net. Quelqu’un l’a scié pendant la nuit !

A Pau, dernière étape décisive, Roger termine second derrière un espagnol. Les belges, déstabilisés, accusent les français de tricherie et abandonnent collectivement.
Roger endosse le maillot jaune à Bordeaux et le conservera jusqu’à la victoire finale, remportant au passage un contre-la-montre et une étape en ligne. L’italien Vicini terminera second à plus de 7 minutes.

Deux ans plus tard, dans Bordeaux-Paris, un accident interrompt brusquement sa carrière. Tandis qu’il effectue son tour de piste, à l’arrivée au Parc des Princes, il percute une gâche en fer, sa rotule éclate en morceaux. Un habile chirurgien évitera de justesse l’amputation.

Roger Lapébie est mort à Pessac le 12 octobre 1996.

Extraits

Vas-y Lapébie ! n’est pas spécifiquement un film sportif. C’est bien davantage un portrait. Et même l’épure d’une passion : le vélo. Vingt-six minutes durant, au travers des balades, des conversations, dont le seul objet est le vélo, Lapébie dissèque, explique et parvient à nous faire partager son amour exclusif. Et on comprend mieux la noblesse ignorée de ce sport, la souffrance nécessaire pour s’y exprimer, le combat qu’il constitue contre la machine, la sienne et celle des autres.
Le mérite du document est double, du fait qu’il a été réalisé par un non spécialiste, Nicolas Philibert, un amoureux de l’alpinisme qui, en deux mois, a accumulé des images de cyclisme d’une nouveauté et d’une beauté rare.

Puis, le rêve de Roger Lapébie, qui pédale sur son beau vélo rouge, seul ou avec son frère, son neveu, les siens, nous transporte soudainement dans le « noir et blanc » de l’avant-guerre, le bistre presque effacé des documents d’origine, d’un lointain passé. Images d’archives poignantes, étonnantes, tournées en accéléré… A la Cipale, dans les cols boueux, dévalés par les grands qui ont fait la légende. Et quelle légende !

Jacques Belin, Sud Ouest, 16 Juin 1988

 

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De 1931 à 1939 il fut sans conteste la figure de proue du cyclisme français, une « gueule » à panache dont on vantait le style très particulier. Sprinter émérite, il se distingua sur toutes les routes de France, notamment dans le Paris-Roubaix de 1934 et dans le Tour de 1937 qu’il remporta malgré une hernie lombaire tenace et les coups bas de ses adversaires. Sans oublier les Six Jours, une course épouvantable où les coureurs restaient alors pendant vingt et une heure consécutives sur la piste ! Mais Lapébie a su laisser le temps au temps et, tout en continuant à suivre les courses d’aujourd’hui, il glisse son regard d’enfant ébloui sur l’asphalte, qu’il tente encore d’apprivoiser quatre à cinq heures par jour. Comme un artiste, comme un jeune tourtereau. (…) Aucune ostentation, pas un brin de vanité chez cet homme savoureux, pétillant, naturellement simple. Un vrai bonheur que de le côtoyer dans ce document à la fois direct et enjoué, un raccourci de sa vie intelligemment construit par Nicolas Philibert.

Bernard Heitz, Télérama, 15 juin 1988

 

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Le petit film de Nicolas Philibert tient bien la route, évite le plat, et gagne son contre-la-montre. Histoire à grand braquet d’un champion qui, chaque semaine, parcourt encore ses 300 kilomètres sur les routes des Landes ou du Bordelais. A chaque coup de pédale c’est le même film qui passe : Lapébie hier, endossant le maillot jaune à Bordeaux et le conservant jusqu’à Paris. Film qu’il regarde les yeux fixés sur la roue avant : les souvenirs, c’est un p’tit vélo dans la tête. Et le vélo « ça conserve ». Lapébie, aujourd’hui, est le doyen de la caravane. Il fait son Tour chaque été, trait d’union entre les lignes d’arrivée et les lignes de départ, racontant à lui seul, ligne après ligne, une histoire du cyclisme conjuguée au présent.

M. A., Libération, 22 juin 1988

 

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Canal Plus diffuse cet après-midi un remarquable portrait de Roger Lapébie, vainqueur du Tour de France 1937. A soixante-dix-sept ans Lapébie, qui vit retiré à Talence, dans la banlieue de Bordeaux, continue de pratiquer avec la même passion son sport favori. Il parcourt de 100 à 125 kilomètres par jour, preuve que le vélo entretient la santé. Plus ancien maillot jaune encore en vie, Lapébie pourrait en remontrer à beaucoup de ses cadets.

Roger Lapébie entra dans la légende à 26 ans grâce à sa victoire. La France se découvrait un nouveau héros qui entrait dans la constellation des grands coureurs des années 30 aux côtés d’Antonin Magne, Charles Pélissier, André Leducq, Gino Bartali ou Le Grevès. Mais un grave accident survenu le 18 mai 1939 dans Bordeaux-Paris (fracture de la rotule) mit fin à une carrière féconde. Lapébie fut ensuite restaurateur à Arcachon, commerçant en cycles, agent d’une société de travaux métalliques.

« J’ai repris le vélo voilà dix ans, confie Lapébie, et je mène une vie heureuse, constamment par monts et par vaux. Je voyage fréquemment en suivant les grandes courses comme Paris-Nice, La Route de France, le Trophée des grimpeurs ou le Tour de France.  »

Mais Roger Lapébie constate l’évolution de l’épreuve reine au cours de ces cinquante dernières années : « Le Tour a vraiment beaucoup changé, ce qui n’ôte rien à la performance des coureurs d’aujourd’hui. A l’époque les équipes étaient nationales et ne dépendaient pas d’une marque comme aujourd’hui. En revanche, les autres courses comme Paris-Roubaix étaient ouvertes aux équipes privées, et je courais pour les Cycles Mercier à raison de 800 francs mensuels d’avant-guerre, soit l’équivalent du Smic. Les équipes du Tour de France étaient constituées d’une trentaine de membres, sans leader désigné. Cinq à six nations étaient représentées et les voitures suiveuses peu nombreuses. De même n’y avait-il pas de publicité. Le coureur devait se débrouiller seul, savoir lui-même réparer, et il ne pouvait compter sur une bicyclette de rechange. Les étapes, parfois très longues, de 300 à 400 kilomètres, se suivaient sans interruption. Nous accomplissions réellement le Tour de France. 4000 à 5000 kilomètres en 24 ou 26 jours. » (…) Le mérite de ce petit film est d’avoir su restituer avec sobriété l’atmosphère du cyclisme et l’épopée de ce grand coureur. Après sa programmation en codé sur canal Plus, il serait désormais temps qu’une autre chaîne le diffuse en clair pour le plus grand nombre.

Philippe Cusin, Le Figaro, 22 juin 1988